Spartoo rachète André et prend pignon sur rue : la stratégie du « phygital »

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Les enseignes du commerce français de détail continuent leur transformation pour s’adapter à l’ère numérique : après le rapprochement en novembre 2017 entre Auchan et le géant du e-commerce Alibaba, c’est André, très ancienne marque française née à la fin du 19eme siècle, qui passe dans le giron d’un spécialiste de la chaussure sur internet : Spartoo. Une opération de rachat stratégique en ce début d’année 2018 pour le site, qui veut supplanter ses trois concurrents directs, Sarenza, Zalando et le monstre du e-commerce Amazon. Avec 135 enseignes sur le territoire français et quelques 800 salariés, André constitue un beau challenge, et même un sacré pari : mis en vente par Vivarte, son propriétaire depuis le début des années 2000, c’est une enseigne qui revient de loin. Il y a peu, on en craignait encore la faillite pure et simple, faute de repreneur, après des années de tentatives de redressement de son propriétaire, Vivarte, très endetté, et qui a choisi de ses recentrer sur ses quelques enseignes principales (La Halle, Caroll…) et de vendre les autres.

 

On pourrait donc penser que la direction de Spartoo a perdu la tête… au contraire, ce mariage réunit les points forts des deux côtés : André commence à remonter la pente, grâce justement à son site internet, qui vend bien, et même très bien. Tandis que ses boutiques, un peu partout dans les principales villes de France, représentent le cœur de stratégie de développement du site depuis quelques temps : associer les points de vente physiques et le numérique, le « phygital » comme on dit dans le jargon. En clair, une association marketing entre « physique » et « digital », qui combine les atouts du numérique, ses données, ses méthodes, et les atouts des magasins en ville et du réseau, pour attirer de nouveaux clients et leur offrir à la fois l’interactivité, la connectivité, la recherche en ligne grâce à des bornes tactiles, ou encore des outils comme la visualisation 3D, couplés au sens du contact, à la possibilité d’essayer, à la proximité, à la possibilité de repartir tout de suite avec ses achats. D’ailleurs, dans cette optique justement, Spartoo avait déjà essayé de racheter la marque de chaussures Bata et n’y était pas parvenu.

 

Un beau défi, parce que Spartoo c’est « seulement » 400 salariés et 14 boutiques, André représente dix fois plus de boutiques et deux fois plus de personnels. David qui rachète Goliath, en somme. Mais David est malin, et audacieux : à une époque où toutes les enseignes, y compris les PME et les TPE, se mettent à créer leurs sites internet, persuadées que la vente en ligne est l’avenir du petit commerce après en avoir été le bourreau, Spartoo le «pure player», né de l’imagination de trois étudiants startupers en 2013, fait le choix opposé et joue aux échecs avec brio, en ouvrant des boutiques à son nom. La marque est la seule à oser tant d’audace, et pourtant, ça fonctionne : le chausseur numérique possède déjà une quinzaine de boutiques, la dernière a été inaugurée à Annecy en Haute-Savoie.

 

Spartoo réussit ainsi à combiner les atouts du « surf&clic » (surfer sur internet, cliquer, acheter) avec plusieurs milliers de références et de modèles, ce qui n’est pas possible pour un commerce de détail… et l’atout séduisant de vraies boutiques, avec des vendeuses, des fauteuils, des chausse-pieds, et la possibilité de repartir immédiatement avec ses emplettes. Si on résume : le client internet peut acheter en ligne et passer chercher sa boîte de chaussures en bas de chez lui en même temps que sa baguette ; le client attaché aux boutiques physiques peut s’y rendre pour essayer et acheter, mais avec la possibilité d’y regarder sur d’immenses tablettes numériques installées en boutiques, l’intégralité des collections disponibles.

 

Evidemment, les réserves du magasin ne peuvent pas contenir les centaines de milliers de boîtes du stock internet. Mais dans chaque boutique, en fonction des meilleures ventes en ligne réalisées par les acheteurs de la région, on adapte l’offre à la demande. Si le modèle choisi sur les tablettes du magasin n’est pas en réserve, aucune gravité : la vendeuse le commande en ligne pour le client qui sera livré à domicile le lendemain, ou en boutique s’il préfère. Des boutiques, qui rassurent aussi les acheteurs : elles récupèrent les produits qui ne conviennent pas et se chargent de la logistique de retour, rien d’autre à faire que de leur rapporter les chaussures. Car les ventes sur le web restent freinées, pour une partie de la population (par exemple les seniors, qui achètent beaucoup de chaussures), par le fait de devoir gérer soi même le retour : respecter le délai, refaire le colis soi-même, le porter à la poste, avancer les frais en attendant d’être remboursé – ou pas -, etc… Avec le « phygital », ces blocages psychologiques sont levés et cela booste les ventes en séduisant une clientèle jusqu’alors plutôt réfractaire au digital. Et qui peut, de la même manière, réserver son produit sur internet mais le payer en boutique, si l’utilisation de la carte bleu en ligne lui fait peur.

 

Bref, repenser l’internet à échelle humaine : voilà la belle stratégie du chausseur en ligne. Qui, au-delà de la philanthropie, compte bien se démarquer ainsi de la concurrence et lui piquer des clients ! En 2017, Spartoo affichait un chiffre d’affaires de 150 millions d’euros. La marque vend plus de 3 millions de produits par an… peu en boutiques pour l’instant, c’est vrai, mais la croissance des ventes en ligne se fait à deux chiffres, et le commerce de détail physique n’y est pas pour rien : de plus en plus de clients viennent essayer en magasin et finalisent l’achat sur internet. Une stratégie bien comprise par d’autres, comme la Camif par exemple, qui vend des meubles sur internet : l’enseigne propose ainsi désormais à ses clients satisfaits de faire « tester » ses produits à d’autres clients qui hésitent à acheter, et n’habitent pas loin des premiers : le site de vente par correspondance possède déjà un réseau de plus de 12 000 clients « VRP », et se porte plutôt bien.

 

 




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